Présidence française du Conseil de l’union européenne (PFUE) : non à son instrumentalisation à des fins électorales aux dépens de l’Europe et du climat
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Adoptée par le Conseil fédéral d’Europe Écologie Les Verts des 4 et 5 décembre 2021

Exposé des motifs

La France présidera le Conseil de l’Union européenne (PFUE) à partir du 1er janvier 2022, prenant la suite de la Slovénie. La présidence du Conseil de l’Union européenne est assurée à tour de rôle par chaque État membre tous les six mois. Aux côtés de la planification des sessions du Conseil et de sa représentation auprès des autres institutions de l’Union européenne, la présidence doit veiller au bon déroulement du processus législatif et être en mesure de faciliter des accords sur les travaux législatifs. Son rôle est conséquent puisqu’elle doit permettre de trouver des compromis entre les 27 États membres, entre les États membres et le Parlement, et garantir une coopération harmonieuse au sein de l’Union européenne.

En plus de ses missions de médiatrice et de recherche du compromis, la présidence donne l’opportunité aux États membres de mettre à l’agenda européen leurs priorités politiques.

Les élections présidentielle et législatives auront lieu pendant la présidence française. Emmanuel Macron avait la possibilité de demander le report de la présidence française et ne l’a pas fait. Ce choix fait craindre que la période de réserve, qui doit entrer en vigueur dès mi-mars ne soit pas respectée. que la PFUE soit instrumentalisée à des fins des politiques nationales et que la capacité d’action de la France soit amoindrie.

Le Gouvernement français a d’ores et déjà annoncé le mot d’ordre de sa présidence : « relance, puissance et appartenance »(1). Il souhaite mettre l’accent sur la relance de l’économie européenne, et a notamment pour ambition de faire émerger des groupes européens dans les secteurs des technologies de l’information et de la communication (TIC) ou les biotechnologies. Le Gouvernement envisage de mettre à l’agenda la question de l’indépendance et de la puissance européenne (sécurisation des approvisionnements, défense, accord avec la Chine, etc.). Avec la dernière thématique sur l’appartenance, le Gouvernement souhaite se poser en opposant n° 1 des mouvements nationalistes de plus en plus fort en Europe. Enfin, le Gouvernement devra mener à terme deux grands projets : la Conférence sur l’avenir de l’Europe (projet participatif visant à soumettre des propositions pour réformer les institutions européennes) et la boussole stratégique (cartographie des menaces communes aux États membres dans le domaine de la défense).

Par ailleurs, la présidence française pourrait être tentée d’accélérer certaines négociations, pour qu’elles aboutissent avant l’élection présidentielle et espérer redorer l’image européenne d’Emmanuel Macron, quitte à compromettre la qualité des accords et les intérêts des Européen·ne·s.

Les enjeux sont nombreux, et il s’agit de ne pas rater ce rendez-vous.

La France doit être au rendez-vous du défi climatique qui a des répercussions toutes particulières en Europe. Nous l’éprouvons au quotidien en respirant un air pollué, dont les seuils pour chaque État membre se trouvent bien au-delà des normes de l’OMS. Nous l’avons éprouvé cet été, dans toute l’Europe, avec les canicules, les inondations meurtrières et les grands feux de forêt. Les impacts du dérèglement climatique pourraient coûter plus de 190 milliards d’euros par an aux Européen·ne·s si rien n’est fait. C’est au premier semestre 2022 que le Conseil devra adopter sa position sur les textes du paquet législatif « Fit for 55 », crucial pour que l’Union européenne ait une chance de tenir ses engagements en matière de lutte contre le changement climatique.

Aucun pays n’est en capacité seul de faire face au défi écologique. Pour le surmonter, nous avons besoin de coordonner nos forces. L’Union européenne est un outil inespéré pour agir. Mais pour cela, nous avons besoin de dépasser les faiblesses institutionnelles de l’Union européenne, et nous devons défendre un sursaut fédéral et démocratique. La Conférence sur l’avenir de l’Europe, qui se clôturera en mars, doit conduire à des changements institutionnels majeurs à la hauteur de la crise démocratique et des blocages institutionnels. Et pour le moment, le Gouvernement français s’avère incapable de mobiliser sur ce rendez-vous citoyen.

La construction de l’Union européenne ces dernières années a plus que délaissé les questions sociales, laissant les inégalités se creuser au sein des sociétés européennes et renforçant le sentiment que l’Europe ne sert que les intérêts des plus riches. Des décisions ambitieuses sur le salaire minimum européen et sur l’égalité salariale pourraient être prises au premier semestre 2022, suite aux propositions de la Commission européenne. Des nouvelles initiatives devront être lancées.

Être moteur d’un élan fédéral et démocratique implique de mettre en cohérence les règles budgétaires avec les grands enjeux auxquels fait face l’Union européenne, et ainsi d’initier des compromis législatifs pour doter l’Union européenne d’un véritable budget solidaire européen, s’appuyant sur les contributions des États-membres et des ressources propres ainsi qu’à une capacité d’endettement commun dans la prolongation du fonds de relance. L’Union européenne doit lutter contre les paradis fiscaux et se doter d’une fiscalité juste qui lui donnerait une réelle capacité à agir sur le climat et sur les solidarités. La France doit être cette force en Europe qui amène à balayer définitivement les vieux dogmes budgétaires, en s’appuyant sur le sens de solidarité dont a fait preuve l’Union européenne face à la pandémie de CoViD-19.

La France doit être au rendez-vous face aux attaques répétées à l’État de droit et aux droits fondamentaux, notamment en Pologne ou en Hongrie. La France doit donner corps à une Europe des droits réels pour l’ensemble des Européen·ne·s, en particulier les femmes, les personnes LGBTQI+, les migrant·e·s, les minorités religieuses ou ethniques. La France doit profiter de sa Présidence de l’Union européenne pour faire avancer le travail sur le respect de l’État de droit, notamment les procédures en cours au titre de l’article 7 du traité sur l’Union européenne, pour solidifier les fondements du projet européen et de ses valeurs.

Enfin, la France doit être au rendez-vous pour promouvoir l’idée que l’Europe ne se construit pas par opposition au reste du monde mais qu’elle a vocation à être une force diplomatique au service de la paix, de la lutte contre le changement climatique, l’effondrement de la biodiversité et les inégalités. Plus que d’être une arme défensive, le véritable projet de l’Union européenne est la paix.

Pour faire de cette présidence un succès, le « en même temps” macronien n’est pas une option.

On ne peut pas en même temps être candidat à l’élection présidentielle et être à la tête de l’Union européenne, sans que la campagne de la présidentielle n’ait des conséquences sur la présidence française de l’Union européenne. L’élection présidentielle, qui se tiendra en France les 10 et 24 avril 2022, laissera Emmanuel Macron assumer un double rôle de chef d’État à la tête de l’Union européenne et de candidat à son renouvellement. Les textes européens permettaient à la France d’échanger sa présidence avec un autre État-membre, ce que le Gouvernement n’a pas voulu faire. Ce mélange des genres fait craindre une instrumentalisation de la présidence, et compliquera son mandat à la présidence du Conseil de l’Union européenne lorsque la période de réserve devra être respectée dès mi-mars. Les marges de manœuvre de la présidence française seront donc contraintes. Par ailleurs, si Emmanuel Macron n’était pas réélu en avril 2022, cela obligerait le prochain Gouvernement français à assumer son bilan devant le Parlement européen en juin 2022. Enfin, selon le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), les interventions d’Emmanuel Macron en rapport avec l’exercice de la Présidence française de l’Union européenne ne seront pas décomptées de son temps de parole pour la campagne des présidentielles, ce qui créera une injustice et un déséquilibre de fait avec les autres candidat·e·s.

On ne peut pas en même temps donner l’illusion d’agir contre le dérèglement climatique et ne pas donner de vrais gages d’action pour réaliser la transition énergétique. Depuis des mois, le Gouvernement français promeut en réalité le gaz et le nucléaire, au dépend d’une véritable politique énergétique propre et durable. Le Gouvernement essaiera de créer des compromis autour de cette question, notamment en ce qui concerne la taxonomie, et il est à craindre que l’intérêt général soit sacrifié.

On ne peut pas en même temps faire l’apologie de la souveraineté extérieure et accepter la prégnance des lobbies à l’intérieur de l’Union européenne. Le sponsoring est une pratique courante en Europe mais en 2020, l’Allemagne avait fait le choix de refuser le sponsoring de la PFUE. Sous le feu des critiques, Emmanuel Macron a renoncé à une partie des sponsoring dont il voulait faire bénéficier sa présidence. Seul le sponsoring de voitures électriques et hybrides sera autorisé. Par ailleurs, le gouvernement n’a pris aucun engagement pour limiter l’influence des lobbies. Cela n’est pas une surprise tant le Gouvernement français s’est fait le porte-parole des intérêts privés au niveau européen, allant jusqu’à faire écrire sa position sur la transparence des entreprises directement par le MEDEF, comme l’avaient révélé CCFD Terre Solidaire, Oxfam France et Transparency International France.

On ne peut pas en même temps prétendre transformer l’Europe avec la Conférence sur le futur de l’Europe, et laisser faire les gouvernements mépriser les principes fondamentaux de l’UE. Le premier semestre 2022 doit être l’occasion d’accélérer les procédures à l’encontre des gouvernements qui bafouent l’État de droit.

On ne peut pas en même temps prétendre représenter une vision humaniste européenne et laisser mourir des migrant·e·s dans la Manche ou à la frontière biélorusse. L’Europe ne peut plus être une forteresse anti-migrant·e·s. En refusant d’accueillir dignement les chercheurs de refuge, l’Union européenne se retrouve à céder face aux diktats d’Erdoğan depuis 5 ans et de Loukachenko depuis quelques mois. Le Sommet UE-Afrique ne doit pas être ni un exercice néocolonial ni l’occasion pour l’UE de se décharger sur les pays africains sur les questions d’asile et de migration.

On ne peut pas en même temps plaider pour une Europe sociale et proposer en France une réforme de l’allocation chômage injuste et précarisante. En mai 2021 au sommet de Porto, Emmanuel Macron avait plaidé pour une convergence sociale en Europe visant particulièrement le dumping social. En France, il continue pourtant à flexibiliser le marché du travail et à culpabiliser les chômeuses et chômeurs. Le France doit être porteuse de l’idée en Europe que la réduction du chômage passera par le création d’emplois liée à la transition écologique et par la réduction du temps de travail.

On ne peut pas en même temps espérer construire des compromis au niveau européen et exercer en France un pouvoir jupitérien. La présidence française de l’Union européenne ne pourra pas effacer cinq années d’un pouvoir solitaire, incapable de tout dialogue ou compromis et de répondre aux attentes des Françai·se·s exprimées lors des mouvements sociaux. Pour que la PFUE ne soit pas un simple outil de communication pour le candidat Macron, ses priorités auraient dues être définies avec l’ensemble des acteurs français notamment les corps intermédiaires, et les collectivités locales.

Motion

Le Conseil fédéral d’Europe Écologie-Les Verts réuni les 4 et 5 décembre 2021 :

1. Dénonce les incohérences des positions prises par le Gouvernement français et appelle à promouvoir une vision et un projet écologiste de la Présidence française de l’Union européenne pour l’Europe et le climat.

2. Regrette que le Gouvernement français ne semble pas faire de la lutte contre le changement climatique et de l’Europe les priorités de sa présidence et préfère organiser un sommet sur les questions de défense, orienté pour servir les intérêts de l’industrie de l’armement, plus que pour promouvoir une Europe de la paix.

3. Dénonce l’instrumentalisation de la présidence française de l’Union européenne en contexte électoral et des marges de manœuvre limitées qu’aura la France dans son mandat à la tête du Conseil de l’Union européenne.

3a. Dénonce le fait que certains événements liés à la Présidence française de l’Union européenne soient organisés dans les régions où les ministres compétent·e·s sont élu·e·s et potentiellement candidat·e·s à leur réélection en juin.

4. Demande au CSA de prévoir le décompte des interventions liées à la Présidence française de l’Union européenne du candidat Emmanuel Macron de son temps de parole, afin de ne pas créer une situation de déséquilibre concernant les autres candidat·e·s.

5. Dénonce l’absence de mesures pour lutter contre l’influence des lobbies et que le Gouvernement français n’ait pas entièrement renoncé au sponsoring, comme l’avait fait l’Allemagne en 2020.

6. Demande au Gouvernement français de mieux visibiliser la Conférence sur l’avenir de l’Europe sur le territoire français, au-delà des seules conférences régionales, afin que cet exercice soit réellement un outil aux mains de l’ensemble des citoyen·ne·s, et que la question de la réforme des institutions européennes fasse l’objet d’un débat en séance à l’Assemblée Nationale et au Sénat.

1 Déclaration en conseil des ministres le 4 novembre 2020 https://www.gouvernement.fr/conseil-des-ministres/2020-11-04

Vous pouvez télécharger cette motion au format PDF ici.